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Nitrates : l’irrésistible ascension.
samedi 28 juillet 2007
Massivement utilisés, les nitrates ont été le premier polluant repéré. Nitrates de synthèse d’origine minérale d’abord, largement répandus sur les zones légumières. Nitrates d’origine animale, ensuite, sur les champs d’épandage des élevages hors-sol. Aujourd’hui les deux se combinent.
(extrait de "S-eau-S, l’eau en danger", éditions Golias, Octobre 2000)
La Direction Régionale de l’Environnement estime à un million de tonnes les nitrates produits par les déjections animales chaque année en Bretagne. Sensiblement la même quantité est consommée sous forme d’engrais azotés dont l’utilisation ne fait l’objet d’aucune limitation et sur lesquels ne pesait, jusqu’à présent, aucune « taxe pollution ».
Les rivières bretonnes en charrient des volumes qui rempliraient quotidiennement des trains entiers. On les retrouve d’abord au robinet du consommateur, ils vont ensuite engraisser les champs d’algues vertes qui peu à peu détruisent la vie biologique et économique du littoral. La préfecture de la Région Bretagne estime à près de 570 000 tonnes la quantité de nitrates arrivés sur les côtes en 1999. Dans la seule rade de Brest ce chiffre est de l’ordre de 50 000 tonnes. La modeste rivière Elorn, à Landerneau, voit passer, sous son pont de Rohan, une moyenne de trente tonnes par jour. L’équivalent de deux camions bien chargés !
Des tests éclairants
La revue « Que choisir » décidait en septembre 1993 d’en savoir un peu plus sur la pollution par les nitrates. Elle plaçait une bande test dans chaque exemplaire de journal diffusé et demandait à ses lecteurs de lui communiquer le résultat de leur mesure. La carte publiée indiquait une pollution généralisée avec, on s’en doute, des records en Bretagne. La moitié des 372 lecteurs finistériens qui avaient répondu déclaraient une eau dont la teneur était supérieure à la norme légale admissible de 50 mg/l.
Dans la même période un groupe de militants écologistes du Nord - Finistère décidait de rompre avec l’opacité qui existait alors sur la connaissance du niveau réel de la pollution. Les analyses effectuées par la direction des affaires sanitaires et sociales étaient trop rares et surtout leurs résultats souvent occultés. Il fallait parfois soulever une épaisseur de circulaires diverses avant de les découvrir sur les panneaux des mairies où ils doivent obligatoirement être affichés. D’autre part une multitude de foyers branchés, de façon autonome, sur une source ou une fontaine isolée, restaient dans l’ignorance de la qualité de l’eau qu’ils consommaient. Ces militants décidaient donc de créer, sous le nom de « Analyses et Environnement », un laboratoire d’analyses indépendant et d’aller sur les marchés et les rassemblements divers proposer leurs services aux personnes isolées et aux associations.
L’une de leur premières analyses affichait un taux de 300 mg/l de nitrates. Il s’agissait d’un puits situé au cœur de la zone légumière du Nord - Finistère. Le couple d’agriculteurs retraités qui l’utilisait n’avait pas d’autre source d’approvisionnement et était donc contraint à consommer une eau présentant six fois la norme admissible.
L’expérience devait montrer que le cas n’était pas isolé. Ce secteur célèbre pour ses choux - fleurs, ses artichauts et ses carottes avait en effet été le premier à être gravement pollué. Il s’agissait ici de nitrates minéraux. De « méchantes langues » prétendaient que chaque pied d’artichaut y recevait régulièrement sa poignée d’engrais.
Le résultat de cette politique a été double. D’abord une surproduction chronique qui a conduit de façon régulière des cortèges de manifestants dans les rues avec leurs remorques de légumes déchargées devant les édifices publics et leurs opérations de commandos saccageurs. Ensuite une montée inexorable du taux de nitrates dans la nappe phréatique et les eaux de surface. Avec la réglementation actuelle, une usine fournissant de l’eau potable n’est plus autorisée à prélever l’eau brute dans une rivière si le taux de nitrates y dépasse 50 mg/l. Dans cette région nord-finistérienne que l’on appelle le Léon, les limites ont été rapidement atteintes. Quand l’eau de la rivière Aber-Wrac’h y a dépassé les 50 mg/l, une dérogation a été accordée pour poursuivre le captage. Dans le même temps on y installait une unité de dénitratation fournissant une eau que l’on pouvait mélanger aux eaux polluées afin que le taux au robinet se maintienne à quelques milligrammes au dessous du taux légal. La santé n’en était pas mieux garantie mais le fournisseur d’eau privait ainsi le consommateur de toute possibilité de recours juridique.
Naturellement, loin de se ralentir, la pollution s’est accélérée. Le thermomètre (c’est à dire le contrôle de qualité au robinet) étant cassé, la pression de l’opinion publique s’est relâchée et le niveau de pollution dans la rivière a rapidement approché les 100 mg/l . Une nouvelle dérogation n’étant plus possible sous peine de réaction immédiate de la Commission Européenne, il a fallu aller chercher de l’eau plus loin et relier l’usine à l’Elorn voisine par un long et coûteux tuyau. Que se passera - t - il quand cette rivière aura elle même atteint la limite, ce qui pourrait ne pas tarder ?
Des engrais au lisier
Malgré ces constatations alarmantes, la consommation d’engrais minéraux n’a pas baissé. Dans son rapport publié en 1997, la Chambre régionale d’Agriculture de Bretagne, reconnaissait même une augmentation de 2,8% pour l’année 1996. Pourtant l’azote minéral ne constitue pas la majorité des apports azotés, de l’ordre de 55% sont d’origine animale.
Nous avons déjà évoqué les 14 millions de porcs, les 500 millions de volailles, les 2 millions de bovins qui peuplent notre région. Il est admis que sous le rapport des déjections, une vache représente 14 humains, un porc 3 , une poule 0.2. Un atelier de 1500 porcs est donc équivalent à une petite ville de 4 à 5000 habitants (1500 porcs est une taille moyenne en Bretagne où on peut trouver des ateliers de 10 000 places d’engraissement).
Sur le bassin versant de la rivière Elorn, vivent 60 000 personnes toutes munies, comme il se doit, de systèmes d’épuration individuels ou collectifs. Mais que penser de l’efficacité de ces installations quand on sait que sur le même secteur la population animale peut être évaluée à 4 millions d’équivalent - habitants dont les excréments sont simplement répandus sur le sol !
Nous avons déjà signalé qu’à elles seules les déjections des porcs et des volailles élevés en Bretagne représentent l’équivalent de celles de la population française.
La Bretagne zone sinistrée
Dans les années 1970, l’association « Eau et Rivières de Bretagne », qui venait d’être créée était pratiquement la seule à alerter l’opinion sur le danger de la pollution par les nitrates. Elle suscitait alors des réactions peu encourageantes, l’indifférence des consommateurs, l’étonnement des médecins, le doute des élus, l’irritation des milieux agricoles. Il est vrai qu’à cette époque des pollutions plus visibles réclamaient la priorité : les rejets organiques des laiteries, des abattoirs et des ateliers de conditionnement de légumes, les rejets industriels des papeteries sans compter les déversements directs des égouts des villes. Les meilleures rivières à truite et à saumon se voyaient abandonnées par la vie aquatique.
Depuis la situation a évolué. Ces premiers combats menés par les associations ont ramené une eau plus claire, le poisson est revenu. Mais dans le même temps la pollution inodore, incolore et sans saveur, par les nitrates, les pesticides et les métaux lourds s’est installée et a proliféré. Le taux de nitrates dans la plupart des cours d’eau, a augmenté de façon régulière de 1 à 2 mg/l chaque année. A ce rythme le taux de 50mg/l était largement dépassé au bout de quinze ans.
En 1986 le rapport de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Finistère relevait 121 communes délivrant une eau dont le taux était supérieur à la norme (dont 10 au dessus de 100 mg/l). L’année précédente elles n’étaient que 100 dans cette situation. C’est l’époque où quatre usines de dénitratation étaient construites sur les secteurs les plus pollués.
Paradoxalement, le rapport pour l’année 1999 ne relève plus qu’une dizaine de communes ayant délivré une eau hors des normes. Ne nous trompons pas, cette apparente amélioration cache, en fait, une réelle dégradation. En 1990 la DDASS a interrompu toutes ses mesures sur la zone légumière du Nord - Finistère. L’ensemble des captages avait atteint les 100 mg/l et ils avaient dû être fermés. On peut imaginer qu’ aujourd’hui ils flirtent avec les 150 voire les 200 mg/l mais aucune mesure officielle ne viendra plus le confirmer et la statistique sera sauvée.
D’abandon en abandon une concentration s’opère. Déjà 300 000 personnes du Nord-Finistère dépendent de la seule rivière Elorn pour leur approvisionnement. Or cette rivière voit sa qualité se dégrader et sans la dilution obtenue par les lâchés d’un barrage de retenue construit près de sa source, elle serait déjà hors normes. De plus elle est encadrée par une route sur laquelle circulent des semi-remorques parfois chargés de produits toxiques et une voie ferrée sur les abords de laquelle la SNCF n’est pas avare en désherbants. Elle est aussi voisine d’usines dont les installations frigorifiques ont plusieurs fois provoqué de graves pollutions à l’ammoniac. La venue d’un accident majeur est de moins en moins improbable, en abandonnant les captages dispersés on a fragilisé l’ensemble du système. Et que dire du coût de cette pollution ? Les pouvoirs publics et les assemblées élues se sont engagés dans une fuite éperdue en avant. La Bretagne s’est couverte de barrages, de tuyaux, d’interconnexions, d’usines de dénitratation, l’ensemble étant payé par le contribuable et le consommateur.
Dans son rapport sur la qualité de l’eau dans le Finistère, la Mission Interservice de l’Eau (M.I.S.E) estimait à 425 millions de francs les sommes consacrées aux contrats « Bretagne Eau Pure » dans ce seul département, soit un coût équivalent à 5 500 francs par habitant vivant dans les zones concernées. Par ailleurs, les contrats de rivières et de baies mobilisaient plus de 1,2 milliards de francs soit encore l’équivalent de 2100 francs par habitant de ces secteurs. Le rapport évaluait d’autre part à 2000 francs la dépense annuelle d’une famille finistérienne en eau minérale et sans doute ce chiffre reste-t-il en deçà de la réalité.
Pourtant tout laisse penser que cet argent englouti l’a été en pure perte. Un rapport récent, établi par des inspecteurs des finances à la demande des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, a bien failli ne pas être rendu public. Il laissait entendre que les 14 milliards que devrait coûter le plan de maîtrise des pollutions d’origine agricole (P.M.P.O.A) pourraient n’avoir aucun effet apparent sinon celui de renforcer encore le poids des grosses exploitations au détriment des élevages de taille modeste. Confirmant ce sentiment, l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne lançait, fin Juin 2000, un appel au secours au gouvernement. Si l’état ne prenait pas à sa charge une part accrue du financement du P.M.P.O.A, elle risquait l’asphyxie.
Et pendant ce temps, de façon inexorable, le taux de nitrates continue à monter au même rythme que celui des sommes dilapidées.
Juin 2007
Le pronostic pessimiste s’est confirmé. Le front de la pollution n’a pas reculé, bien au contraire ! La commission européenne prend l’affaire en mains et menace la France de sanctions. Côté pollueurs, ce sont les associations de protection de l’Environnement qui deviennent la cible.