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Le procès de l’aéroport tourne au réquisitoire (Médiapart)

mercredi 9 novembre 2016, par Gérard

Le procès de l’aéroport tourne au réquisitoire (Médiapart)

8 novembre 2016 Par Jade Lindgaard

Pour la rapporteuse publique de la cour administrative d’appel de Nantes, le projet d’aéroport causerait trop de dommages à l’environnement alors qu’il existe une alternative avérée à sa construction.

Nantes, de notre envoyée spéciale.- D’emblée, le ton est posé : « Si des personnes pensent que le rapporteur public peut être influencé par des pressions du gouvernement, elles connaissent mal le rapporteur public. » Christine Piltant a tenu sa promesse, lundi 7 novembre, pendant près de quatre heures et demie, lors de l’audience de la cour administrative d’appel de Nantes, dans une salle surchauffée où les visages devenaient plus rouges au fil des heures. Elle a présenté, sans ciller, trébuchant à peine sur quelques formulations administratives, les arguments juridiques de fond justifiant l’annulation de quatre arrêtés préfectoraux autorisant les travaux de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Alors que s’ouvre l’audience, bondée, une réunion démarre à la préfecture de Loire-Atlantique : le comité de pilotage doit informer les élus locaux des suites du chantier. Jusqu’au bout, les autorités politiques agissent comme si le projet d’aéroport ne pouvait souffrir aucune contestation, pas même du pouvoir judiciaire. Le week-end précédent, Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères mais ancien maire de Nantes, a déclaré que le projet « continuera sa route quelles que soient les vicissitudes ». François Fillon, lui, a comparé l’avis de la rapporteuse publique à « une opération montée ».
Les avocats des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le 7 novembre 2016. (JL)

Pas moins de dix requêtes sont inscrites à l’ordre du jour de la séance. D’abord, les recours déposés par les opposants contre la déclaration d’utilité publique (DUP) du programme viaire, c’est-à-dire l’ensemble des projets routiers (4 voies, contournements, aménagements de voies communales…) devant accompagner la construction de la plateforme aéroportuaire. La magistrate les rejette un à un, tout en critiquant les insuffisances de sa méthode : l’impact des destructions de l’environnement qu’ils vont causer « n’est pas à négliger ». Elle déclare valider la DUP « plus par discipline que par conviction ».

Vers 17 heures, vient le temps de son exposé au sujet des cinq requêtes demandant l’annulation des arrêtés préfectoraux de décembre 2013 autorisant les travaux au titre de la loi sur l’eau – ainsi que de la décision du tribunal administratif de juillet 2015 rejetant en première instance les recours des opposants. Dans la salle, les nombreux opposants au projet sourient. Ils savent que la rapporteuse publique va demander l’annulation des arrêtés.

Mais sa démonstration se transforme en réquisitoire contre le projet d’aéroport. Le site, réservé il y a 40 ans pour y construire l’aéroport, comprend plus de mille hectares de zone humide, en tête de trois bassins versants, dotée de 59 mares, décrit-elle. La zone humide de la zone d’aménagement différé de Notre-Dame-des-Landes joue donc « un rôle important pour les milieux aquatiques et l’écosystème en aval ». Or la directive européenne-cadre sur l’eau demande aux États membres de s’opposer à tout projet pouvant détériorer les masses d’eau. Hausse des températures, salinité, manque d’oxygène : Christine Piltant détaille les dommages attendus sur la ressource en eau du territoire si l’aéroport est construit et exploité. « Les fonctionnalités biogéochimiques de la plateforme seraient impactées. »

Le maître d’ouvrage du chantier, AGO Vinci, propose bien des mesures de compensation, mais elles n’offrent aucune garantie de réussite. Surtout, « la destruction est immédiate alors que recréer des fonctions naturelles perdues peut prendre des décennies ». La masse d’eau menacée par l’aéroport ne représente que 1,44 % de la zone impactée. « Si 1,44 % de la population française contractait la rage, cela ferait 1 million de personnes. On ne dirait pas que c’est insignifiant. » Pour la magistrate, l’impact est donc important. Dans la salle d’audience, le silence est presque total, toutes les oreilles sont tendues vers le micro où parle la rapporteuse. Au premier rang du public, Julien Durand, paysan retraité et opposant historique à l’aéroport, commence à sourire. L’avocat d’AGO se ronge les ongles.

C’est alors que la rapporteuse sort son arme fatale. Il existe à ses yeux une alternative « avérée » à la construction de l’aéroport : l’aménagement de l’aérogare actuelle de Nantes Atlantique. Alors que l’État n’a jamais pris cette hypothèse au sérieux en quarante ans de conduite de ce dossier, elle aligne les arguments en ce sens : le grand nombre d’aéroports dans le monde ne possédant qu’une piste, comme l’actuel site nantais, alors qu’ils accueillent plus ou autant que les 9 millions de passagers que Nantes rêve de transporter à terme ; le coût comparable entre l’amélioration de l’actuelle aérogare (825 millions d’euros) et la construction du nouveau (794 millions euros actualisés, pour seulement 4 millions de passagers). Nuisance sonores et environnementales : l’actuel site présente des défauts, ajoute-t-elle. Mais aussi : « Peut-on vivre sans un aéroport idéal ? Oui. Peut-on vivre sans ressource en eau ? Non. »

Une fois démontrée qu’une alternative existe à l’aérogare de Notre-Dame-des-Landes, c’est tout le projet qui tombe. Plus rien ne justifie de détruire l’écosystème car selon un principe essentiel à la protection de la biodiversité, lorsque l’on envisage de détruire son environnement, il faut « éviter, réduire, compenser ». La magistrate applique le même raisonnement aux arrêtés préfectoraux autorisant la destruction d’espèces protégées et demande leur annulation. Après cette charge, l’avocat d’AGO Vinci a beau clamer que « le projet de Notre-Dame-des-Landes va améliorer l’état écologique du site », il ne répond à aucun des arguments de fond et finit par se rasseoir. La représentante du ministère de l’environnement préfère ne pas intervenir.
Des milliers de bâtons sont toujours plantés sur la ZAD, 7 novembre 2016. (JL)

Comment expliquer qu’une magistrate soit si critique du volet environnemental du dossier de l’aéroport, alors que tous les précédents recours s’étaient conclus en faveur du maître d’ouvrage ? Les tribunaux administratifs ont l’habitude de comparer les dommages environnementaux d’un projet à l’activité qu’il peut créer, ce qui les conduit très souvent à autoriser les travaux au nom de l’intérêt « général ». Tout autre est la démarche de la rapporteuse de la cour administrative d’appel qui analyse en soi le respect ou non du droit de l’environnement.

Christine Piltant n’occupe ce poste que depuis deux mois. Pour trancher sur le cas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le président de la cour, Gilles Bachelier, conseiller d’État, a réuni six juges, la formation la plus solennelle. Les avis du rapporteur public sont quasiment toujours suivis par la cour. Si les arrêtés préfectoraux au titre de la loi sur l’eau et portant sur les espèces protégées tombent, les travaux ne seraient plus autorisés. Il faudrait alors relancer une longue procédure administrative, si les pouvoirs publics décident de maintenir le chantier.

Les requêtes ont été déposés par plusieurs associations d’opposants au projet d’aéroport : l’Acipa (regroupant des riverains et habitants de la ZAD), le Cédépa (rassemblant des élus et anciens élus) mais aussi par un écheveau de collectifs de défense de la nature qui depuis des années travaillent dans l’ombre à combattre le projet d’aménagement sur le plan juridique : France Nature Environnement, Bretagne Vivante, FNE Pays de la Loire, Eaux et Rivières de Bretagne, la Ligue de protection des oiseaux (LPO), SOS Loire Vivante. Leurs militants ne se vivent pas seulement comme des « opposants » à l’aérogare mais des constructeurs de solutions publiques au service de l’intérêt général.

À la sortie de l’audience, Guillaume Dalmard, de l’association Des ailes pour l’Ouest, favorable à l’aéroport : « C’est le juge qui doit trancher. Le peuple a décidé pour le projet. Ça se traduira dans les faits. Si le juge va dans le sens du rapporteur public, il y a encore un État. » En début d’après-midi, l’eurodéputé EELV Yannick Jadot est venu écouter le début de l’audience, quelques heures avant de remporter la primaire écologiste : « Il ne serait pas imaginable d’envoyer la police contre la ZAD au moment où la cour d’appel permettrait de remettre le dossier dans le droit chemin. » Délibéré le 14 novembre à 14 heures.