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Les nitrates et la santé.

mercredi 13 septembre 2006

A un moment où certains lobbies demandent la révision des normes concernant les nitrates dans l’eau potable, nous vous proposons la lecture de ce chapitre de "S-eau-S, l’eau en danger" qui traite de l’influence des nitrates sur le santé humaine.

Les nitrates agissent essentiellement par leurs dérivés, les nitrites et les nitrosamines.

La connaissance de leurs effets toxiques est relativement récente. Ils ont d’abord été observés sur les animaux : des bovins morts après avoir ingéré de fortes quantités de tiges de maïs. Les signes essentiels ayant précédé la mort (diarrhées, démarche chancelante), ont été interprétés vers 1940 comme étant dus aux nitrates.

En réalité l’intoxication était le résultat de la transformation des nitrates en nitrites sous l’effet de bactéries présentes dans l’estomac des animaux. L’ion nitrite, N02-, est un ion nitrate ayant perdu un atome d’oxygène ce qui le rend très réactif. Dans le cas présent il transformait l’hémoglobine du sang en méthémoglobine le privant ainsi de sa capacité à fixer l’oxygène. L’animal mourait asphyxié.

Cette affection touche également les nourrissons de moins de trois mois. A la différence de l’adulte, le jeune enfant est très sensible à la méthémoglobinémie et cela pour plusieurs raisons :

- d’abord la faible acidité de son milieu stomacal est favorable à la transformation des nitrates en nitrites par la flore qui le tapisse.

- ensuite sa protection enzymatique est faible jusqu’à l’âge de six mois.

- enfin surtout, par le fait que 70% de l’hémoglobine foetale, très oxydable, subsiste pendant les trois premiers mois de la vie.

Les symptômes sont une cyanose ou maladie « bleue » qui apparaît dès que 10% des globules rouges sont atteints. Elle se manifeste par des extrémités bleu-noir, des troubles respiratoires, cardiaques et neurologiques. Au delà de 70%, l’intoxication devient mortelle par manque d’oxygène si un traitement adapté n’est pas appliqué. Celui ci consiste en injections massives d’acide ascorbique ou de bleu de méthylène dans les cas extrêmes.

Le premier cas a été décrit en 1945. Deux enfants de 27 et 33 jours avaient présenté une cyanose aiguë après ingestion de biberons préparés avec de l’eau fortement nitratée. Entre 1945 et 1983, 3000 cas identiques ont été recensés dans le monde, dont plusieurs mortels. Le phénomène est certainement plus vaste car la caractérisation exacte de la maladie n’a pu se faire que dans les pays suffisamment pourvus de structures médicales ce qui n’est pas le cas des pays où le risque est le plus grand.
Il est admis que dans les pays développés l’incidence de cet événement aigu a très fortement décru. Une enquête menée en France entre les années 1989 et 1992 et portant sur 894 communes de 21 départements n’a permis de recenser que 26 cas dont trois seulement pouvaient être attribués à un excès de nitrates dans l’alimentation. Il faut cependant noter que la même enquête indiquait que dans les communes connues pour être nitratées 93% des personnes interrogées avaient préparé les biberons à partir d’eau embouteillée et que ce chiffre était encore de 88,5% dans les communes non nitratées. Le peu de confiance des familles en l’eau du robinet limitait donc le risque.
Il n’en reste pas moins vrai que de l’ordre de 10% des nourrissons avaient absorbé de l’eau nitratée.

Peut-on imaginer que depuis 1992 la situation se soit améliorée ? Le taux de pollution et le nombre de communes concernées n’ont cessé d’augmenter, d’autre part la croissance de la pauvreté, en particulier chez les jeunes, ne favorise pas l’achat d’eau minérale. A noter également que 23% des personnes des zones nitratées continuaient à utiliser l’eau du robinet pour la cuisson des aliments et les potages, semblant ignorer que l’ébullition ne supprime pas les nitrates. Elément nouveau, l’enquête révélait également que des méthémoglobinémies d’origine alimentaire pouvaient affecter des enfants dont l’âge était compris entre un et cinq ans.

L’association « Analyse et Environnement » a recueilli le témoignage d’une grand-mère du Finistère qui se refusait à servir de l’eau du robinet qu’elle savait polluée à ses petits-enfants et qui n’utilisait que l’eau de son puits avec laquelle, disait-elle, elle avait élevé tous ses enfants. L’analyse effectuée révélait un taux de 250 mg/l cinq fois la norme ! Autre témoignage, celui d’un jeune couple qui découvre à l’occasion d’une analyse que l’eau consommée par leur famille affiche un taux proche des 200 mg, la maison qu’ils occupent avec leurs jeunes enfants est isolée et est raccordée à un forage autonome. Habitués à utiliser l’eau de qualité moyenne du réseau de la ville où ils habitaient précédemment, ils avaient consommé pendant plusieurs mois cette eau polluée comme boisson et pour tous les usages alimentaires. Une multitude d’exemples de ce type indiquent que, dans les zones polluées, le nombre de personnes exposées, et particulièrement de jeunes enfants, est loin d’être négligeable.

De l’eau pure pour les cochons

L’anecdote mérite d’être racontée. Sur le marché de Landivisiau une militante de « Analyses et Environnement » s’étonne de trouver seulement 6mg de nitrates dans l’eau apportée par une personne de cette région fortement polluée. S’agissait-il d’une source miraculeusement épargnée ? La raison était plus simple. Cette personne était exploitante d’une porcherie et, devant la forte mortalité des porcelets alimentés par l’eau d’un forage, elle avait dû se résoudre à installer une unité de dénitratation en tête de son réseau de distribution. Naturellement elle avait raccordé son domicile à la même installation. La pratique est semble-t-il assez courante. Les éleveurs de porcs ne veulent pas jouer la scène de l’arroseur arrosé, pollueurs oui, pollués non !

Où l’on parle du cancer

En 1994 puis 1997, deux congrès médicaux se sont tenus à Brest sur le Thème du cancer de l’estomac. Deux des plus illustres chirurgiens japonais, spécialistes du problème, participaient à celui de I997. Le japon et le Finistère ont en effet la particularité commune de présenter des taux de cancers de l’estomac très nettement supérieurs aux moyennes mondiales. Dans ces deux réunions les nitrates ont été mis en question.

Leur rôle cancérigène a été prouvé expérimentalement chez l’animal. Comment agissent-ils ? Dans notre environnement ou à l’intérieur même de notre organisme de nombreux micro-organismes peuvent transformer les nitrates en composés appelés N-nitrosés, symbolisés par la formule CNO. Ces corps, de structures diverses mais toutes réactives, ont fait dans les années 1980 l’objet de plus de mille publications. Ils sont présents dans l’alimentation, les boissons ou l’air ambiant, on peut les ingérer ou les inhaler. Il s’en forme également dans notre tube digestif. La contamination est donc externe et interne. La plupart de ceux qui ont été étudiés se sont révélés être de puissants cancérogènes chez l’animal.

Le 14 mai I993 la Société française de Santé publique a réuni un colloque à Rennes. Le titre de cette réunion était volontairement provocateur : « Les nitrates, effet de mode ou vrai problème de santé ? ». La synthèse des différentes interventions est certainement l’une des publications les plus complètes de ces dernières années. Dans l’article qu’il consacre aux composés N-nitrosés, le Professeur B.Pignatelli, du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) de Lyon, expose les résultats recueillis sur l’animal :

« Environ 90% des CNO étudiés induisent des tumeurs dans une grande variété d’organes chez 41 espèces animales incluant des primates. La N-nitrosodiéthylamine (NDEA), par exemple, exerce une activité cancérogène chez 20 espèces différentes. On ne connaît aucune espèce animale résistant à l’action cancérogène d’au moins un de ces composés. On a remarqué une remarquable organospéficité de la réponse cancérogène pour deux groupes distincts de CNO, les nitrosamines et les nitrosamides ... Les N-nitrosamines exercent une action cancérogène spécifique principalement dans le foie, l’oesophage, l’appareil respiratoire et le rein ; les système nerveux périphérique et central, l’appareil gastro-intestinal et le rein sont les principaux organes cibles des N-nitrosamides... Les CNO figurent les plus puissants cancérogènes connus et de faibles doses, parfois une seule, de ces CNO suffisent à induire des tumeurs chez l’animal. »

Même si, comme le veut la loi du genre, les conclusions du colloque évitent un excès d’alarmisme, chacun reconnaît que les résultats relevés sur l’animal sont suffisamment éloquents pour que le risque soit pris au sérieux et que l’exposition aux nitrates soit limitée au maximum. Il est difficile, en effet, de supposer que leur action sur l’homme puisse être très différente de celle observée sur l’ensemble des mammifères.
Il a fallu trente ans pour faire clairement reconnaître le rôle cancérigène de l’amiante, faudra-t-il attendre aussi longtemps pour connaître la vérité sur les nitrates ?

Rapide retour sur les normes.

Le 15 Juillet 1980 le Conseil des Communautés Européennes publiait la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Un nombre guide de 25 mg/l de nitrates était défini, ce nombre correspondant au seuil à partir duquel une eau pouvait être considérée comme polluée et donc nécessiter des attentions particulières des pouvoirs publics. Il faut rappeler que dans un environnement sain, l’eau des captages ne devrait pas en contenir plus de 1 mg/l et l’eau de surface plus de 5 ou 6 mg/l.

A côté de ce nombre guide, une « concentration maximale admissible, (C.M.A) » était arrêtée. Son taux était de 50 mg/l, limite impérative à ne pas dépasser.
Une circulaire du 10 juillet 1981 fixait les étapes suivantes :

 à partir d’Août 1985 toutes les eaux destinées à la consommation humaine devaient avoir une teneur inférieure à 50 mg/l.

 pendant la période transitoire de quatre ans séparant les années 81 et 85, l’eau dont la teneur en nitrates serait supérieure à 100 mg/l ne devrait plus être consommée. Une tolérance serait maintenue entre 50 et 100 mg pour les captages déjà existants, à l’exception des femmes enceintes et des nourrissons .

Au seuil de l’année 1985 le constat était fait qu’aucun effort sérieux de récupération de la qualité à la source n’avait été entrepris en France et que l’application stricte de la circulaire priverait d’eau de nombreuses régions. Le ministère français de la Santé mettait donc en place, le 29 avril 1985, une procédure de dérogation à la norme de la C.E.E . Un délai de cinq ans supplémentaires était accordé aux maires pour atteindre les objectifs fixés en 1981. Cette dérogation ne pouvait être accordée qu’à titre exceptionnel, à condition qu’un programme énergique de récupération de la qualité soit engagée et qu’une information des consommateurs soit faite.

Dans la pratique, ces dérogations qui devaient être limitées à quelques situations locales, se sont étendues à des régions entières et se sont prolongées au delà de la date de 1990 initialement prévue comme ultime limite. Ce scandaleux refus d’agir de la part des pouvoirs publics s’accompagnait fatalement d’une inexorable montée de la pollution. Les teneurs en nitrates ont, en moyenne, augmenté de 2 à 3 mg par an. Un rapport de la Direction Régionale de l’Environnement indique que, en 1997 en Bretagne, seulement 2% des eaux de surface n’ont pas dépassé à un moment donné le nombre guide européen de 25 mg, 52% on atteint des maxima supérieurs à 50 mg dont 2% au dessus de 100 mg. On peut estimer qu’à très court terme 75% des captages en rivière seront dans le rouge. Quant aux forages, n’en parlons pas, la plupart ont été abandonnés depuis longtemps.

Face à cette situation des pressions fortes se sont fait jour pour la révision à la hausse des normes. Il s’est même trouvé un médecin pour venir mener campagne, à l’invitation du C.D.J.A du Finistère, sur le thème de la totale innocuité des nitrates et pour remettre en cause les normes de potabilité.

Cette campagne a amené le Comité de la Prévention et de la Précaution à publier en juin 1998 une « recommandation sur les nitrates dans les eaux destinées à la consommation humaine ». Celle-ci demande que la limite des 50 mg soit impérativement respectée de façon à éliminer le risque d’accident chez les nourrissons et d’autre part à appliquer un principe de précaution vis à vis de l’action potentiellement cancérigène des nitrites et nitrosamines.
Autre réaction forte : celle du Conseil de la Communauté Européenne qui a décidé de traduire la France devant sa cour de justice pour non respect des textes de 1981 relatifs à la pollution de l’eau. Si la France est condamnée, chaque contribuable devra encore mettre la main au porte-monnaie pour payer l’amende résultant de l’irresponsabilité des pollueurs et de l’incurie des pouvoirs publics.

L’homme n’est pas seul sur terre :

Faut-il uniquement parler de la santé humaine ? C’est aujourd’hui une banalité que de répéter que nous ne sommes qu’un des maillons d’une chaîne qui relie l’ensemble du monde vivant. Dans la pratique, pourtant, nous nous comportons comme si nous étions la seule espèce digne d’habiter la terre.

Certains de nos contemporains ont cependant conservé l’étrange manie de vouloir jouer les vigies. Philippe Quéré est de ceux là. Militant à l’association « Bretagne Vivante » il suit l’évolution d’une colonie de moules d’eau douce perlières qui survit dans les Monts d’Arrée au centre de la Bretagne. Cette espèce protégée par une directive européenne disparaît peu à peu. D’une population de plusieurs millions de spécimens au début du siècle, il ne reste plus que 3000 individus aujourd’hui concentrés à 90% sur le seul site des Monts d’Arrée.

Parmi les douze espèces d’eau répertoriées en France, elle est la seule à produire des perles. On en avait offert un bracelet à la Duchesse Anne si chère au cœur des bretons. Au siècle dernier on en vendait des colliers aux premiers touristes de passage.

Aujourd’hui, dans la colonie étudiée, Philippe Quéré ne trouve plus que des adultes qui ont pour la plupart de 50 à 100 ans mais, constate-t-il « pas de jeunes, car avec la pollution par les nitrates, très nocive pour les larves, ils ne se reproduisent pratiquement plus » ( propos recueillis par Raymond Cosquéric dans le journal Le Télégramme). La larve de ce coquillage ne supporte pas plus de 5mg de nitrates par litre d’eau or le ruisseau où vit la colonie présente un taux dix fois supérieur.

Faut-il s’apitoyer sur le sort d’une poignée de moules ? Ceux qui verraient sans regrets disparaître cette espèce issue, comme la nôtre de millions d’années d’évolution, peuvent au moins, de façon plus égoïste, admettre que si la moule perlière meurt, l’homme à son tour est menacé.