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10 mai 1981. Le jour où Plogoff a gagné.

jeudi 4 octobre 2007, par Gérard Borvon

Avril-Mai 1981. La campagne électorale des présidentielles bat son plein. Sans doute grâce à Plogoff, mais aussi au Pellerin à Malville et aux autres lieux de mobilisation, le nucléaire est un sujet sur lequel aucun candidat ne peut faire l’impasse.

Cet article est extrait de "Plogoff, un combat pour demain" (Gérard Borvon, 2004)

Le 9 avril François Mitterrand a tenu meeting à Brest. Plogoff ne se fera pas si je suis élu, a-t-il promis.

24 avril : premier tour.

A droite : Giscard 28,3% - Chirac 18% - Debré 1,66% - M.F Garaud 1,33% (total 49,3%)

A gauche : Mitterrand 25,8% - Marchais 15,3% - Laguiller - 2,3% - Crépeau 2,2% - Bouchardeau 1,11%. (total 46,7%)

Ecologistes : Lalonde 3,9%.

Les jeux sont serrés. Giscard n’a pas acquis l’avance qu’il pouvait espérer malgré ses appels du pied aux électeurs socialistes et à ceux du centre-gauche. Mitterrand a largement devancé le PC dont le déclin se confirme. Le total de la gauche, cependant, révèle un retard de 2,6% sur celui de la droite. Brice Lalonde obtient un score honorable pour les écologistes. Ses 3,9% de voix compteront !

A Plogoff on attend le deuxième tour avec impatience. Le comité de défense et les Clin ont écrit à tous les candidats. Les questions portent sur Plogoff mais aussi sur l’ensemble du programme nucléaire civil et militaire.

La réponse de F. Mitterrand datée de la veille du premier tour arrive le lendemain des résultats. Véritable programme politique affiché par le candidat, elle mérite d’être reprise :

François Mitterrand Paris le 23 avril 1981

Les comités antinucléaires de
Plogoff et de la région
Mairie de Plogoff
29 113 Audierne

Madame, Monsieur,

Vous avez adressé aux candidats à la présidence de la république une lettre ouverte leur faisant part de votre opposition au projet de centrale nucléaire de Plogoff, et de votre indignation devant les méthodes employées pour imposer ce projet, indignation légitime que je partage.

Le programme électro-nucléaire actuel est en fait imposé sans aucun débat ni contrôle démocratique, le parlement n’a jamais été véritablement consulté. Quant aux populations locales vous êtes les mieux à même de savoir dans quel mépris elles sont tenues ; leur avis n’est sollicité qu’au travers de l’enquête d’utilité publique, procédure formelle et inadaptée.

Je crois au contraire que le nucléaire, question d’une importance vitale pour notre avenir justifie pleinement l’organisation d’un vaste débat dans notre pays : enfin informés, les Français pourront se prononcer par référendum. Je me suis engagé à ne plus ouvrir de nouveau chantier de centrale nucléaire, en particulier celui de Plogoff, avant que la conclusion de ce débat ne soit connue.

J’ai proposé un moratoire de manière à suspendre le développement industriel des surgénérateurs. En effet ceci engagerait des choix à long terme qui restent hasardeux en l’état actuel des techniques et des incertitudes qui pèsent sur le fonctionnement de cette filière. Mais Super-Phénix constitue un prototype dont les dépenses sont aujourd’hui engagées en presque totalité. Il s’agit de plus d’une coproduction européenne. Pour toutes ces raisons j’envisage aujourd’hui la mise en route de Super-Phénix à fin d’expérimentation, son fonctionnement étant bien entendu soumis à des conditions de sécurité très sévères.

Je crois bon de rappeler ici qu’il n’existe pas en France de loi-cadre nucléaire. Si je suis élu Président de la République je demanderai au gouvernement de soumettre au parlement une telle loi qui permettra entre autres de définir les prérogatives des Assemblées locales et nationales, les conditions du contrôle des choix par les citoyens et les élus et les règles de sécurité. La politique de l’énergie que je mettrai en place reposera sur la recherche d’une croissance d’économie en énergie et sur la diversification de nos sources d’approvisionnement. Les crédits économisés par la réduction du programme nucléaire permettront d’augmenter fortement les moyens accordés aux économies d’énergie et aux énergies nouvelles. Ces investissements, à la différence du programme nucléaire, sont décentralisés, fortement créateurs d’emploi et réduisent tout de suite nos importations.

En vous remerciant de bien vouloir faire connaître mes positions à l’ensemble des membres des comités que vous représentez, je vous prie de croire, Madame, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

François Mitterrand.

A "Radio Plogoff" on veut en savoir un peu plus. Paul Quilès, responsable du PS à l’énergie et probable ministre de l’industrie en cas de succès, est interrogé par téléphone :

Radio Plogoff : Précisez l’engagement pris par Mitterrand au meeting de Brest où il a déclaré que Plogoff ne se ferait pas.

Paul Quiles : Oui, je peux vous le repréciser. François Mitterrand avait dit, lors de son passage à Brest, qu’il n’était pas dans son intention de faire Plogoff. D’ailleurs pas plus Plogoff que Golfech, Le Pellerin ou Chooz ou un certain nombre d’autres centrales nucléaires qui sont prévues par M. Giscard d’Estaing, pour une raison que je vous reprécise, c’est que nous ne voulons pas développer le programme nucléaire d’une façon quasi exclusive comme le pouvoir le fait actuellement...

Radio Plogoff : C’est donc un engagement ferme sur le fait que Plogoff ne sera pas réalisée ?

Paul Quilès : Je reprécise ce que je vous ai dit à savoir : que nous demanderons que les centrales qui sont actuellement en projet ou qui ne sont pas en chantier, ne seront pas construites. Mais il faut qu’on parle maintenant des modes de décision. Actuellement, les décisions sont prises dans les ministères par M. Giraud, ministre de l’industrie, sans qu’il y ait ni de débat national, ni même de débat au parlement. Nous, nous disons qu’il faut qu’il y ait un débat dans le Pays et que c’est le parlement à l’issue de ce débat national qui devra se prononcer en dernier ressort.
Pour qu’il y ait débat dans le pays il faut qu’il y ait d’abord information. Le moins que l’on puisse dire actuellement, c’est qu’il n’y a pas information ! Il y a une certaine forme de propagande pour le nucléaire qui ne peut être assimilée à une information indépendante. Donc dans un premier temps, information. Dans un deuxième temps débat, dans un troisième temps référendum, pour savoir ce que pensent les Français du programme énergétique. Et ensuite, muni de tous ces renseignements, de toutes ces informations, le parlement tranchera.

Radio Plogoff : Mais dans ce débat quel sera le pouvoir des populations locales ?

Paul Quilès : Il faut savoir qu’actuellement la France est le seul pays industriel avec le Portugal, qui n’a pas de législation nucléaire. Ce que nous voulons, nous, c’est qu’il existe une législation nucléaire qui définira en particulier les prérogatives de l’assemblée nationale, des assemblées locales et des conditions de contrôle des choix pour les citoyens et les élus. Nous nous engageons, très rapidement, à mettre en chantier cette loi nucléaire qui définira en détail les prérogatives des niveaux de citoyens.
Nous avons déjà déposé une proposition de loi pour la création d’une agence nationale sur l’information nucléaire et d’agences régionales qui permettraient aux élus, aux associations et aux syndicats de se retrouver au sein de cette agence nationale pour enquêter sur le nucléaire et informer la population.

Annie Carval, présente dans le studio est pourtant inquiète.

Annie Carval : M. Mitterrand dans la lettre qu’il nous a adressée dit qu’il n’ouvrira pas de nouveau chantier, en particulier celui de Plogoff, "avant la conclusion du débat". Or a Brest il a dit qu’en aucun cas Plogoff ne se ferait. Il y a contradiction dans ses propos.

Paul Quilès : Je confirme que nous ne ferons pas Plogoff.

Annie Carval : C"est clair et net. Plogoff est rayé de la liste des sites à partir du moment où Mitterrand est élu ?

Paul Quilès : C’est clair et net.

Propos enregistré, tenu devant des milliers d’auditeurs. On s’en souviendra.

10 mai.

Quinze jours entre les deux tours. A Plogoff on trouve le temps long. Surtout qu’on ne sait plus où donner de l’oreille. Il se dit que le PC appelle secrètement à voter Giscard pour barrer la route à Mitterrand et que Chirac et ses proches penchent plutôt pour Mitterrand. Allez donc dans ce cas faire un pronostic.

Depuis un mois, Radio Plogoff est devenu un haut lieu de l’information. Des militants antinucléaires, mais aussi des syndicalistes, des scientifiques viennent y parler de leurs préoccupations. La maison en construction, mise à la disposition de Radio Plogoff par le comité de défense, est devenue le lieu central du village. On s’y donne rendez-vous pour échanger les nouvelles où rencontrer physiquement les intervenants. On y vient aussi pour l’ambiance, la musique, l’histoire racontée par cet ancien, ce poème récemment composé et qu’on lit en breton.

Il faut aussi assurer les tours de garde. Les radios libres sont interdites. Plusieurs ont vu leur matériel saisi et leurs animateurs traduits en justice. A Plogoff on est sur un territoire "libéré", pas question qu’on vienne nous arracher notre émetteur.

Ce soir Radio-Plogoff est devenue une vraie boîte de sardines. Il faut se battre pour conserver un peu d’espace aux animateurs réfugiés derrière leurs micros au premier étage.

Nouveauté : un poste de télévision a été apporté.

19h55 : les conversations s’arrêtent. Des nœuds se serrent au creux des estomacs, des cœurs se mettent à battre la chamade. Personne n’ose regarder le visage de son voisin de peur d’y lire sa propre angoisse.

20 heures : l’explosion. En moins d’une seconde le bonheur est là. Première estimation 51,7% pour Mitterrand. Cela ne peut plus bouger. On se jette dans les bras des uns des autres, on pleure, on rit... on crie.

Tout Plogoff est traversé par la même joie. Chacun est sorti dans la rue et bientôt la place de la mairie est noire de monde. Un cortège s’improvise derrière Amélie Kerloc’h qui inaugure, avec quel bonheur, sa nouvelle écharpe de maire.

Chacun a compris qu’aujourd’hui, à Plogoff, une légende est née.